2 février 2021

Approvisionnement : vers une évolution favorable

Je travaille au sein du système de soins de santé canadien depuis près de quarante ans et j’ai été témoin de l’évolution des tendances en matière d’approvisionnement des...

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Je travaille au sein du système de soins de santé canadien depuis près de quarante ans et j’ai été témoin de l’évolution des tendances en matière d’approvisionnement des technologiques dans le domaine de la santé. Je ne compte également plus les rapports sur les actions à entreprendre pour réformer notre système de soins de santé, bien qu’il soit rare que ces recommandations soient mises en pratique.

Au début de ma carrière dans ce secteur, l’adoption d’une nouvelle technologie reposait sur l’opinion des médecins au moment de déterminer si la technologie pouvait améliorer les résultats cliniques des patients.

Au fil du temps, les gouvernements se sont retrouvés dans une situation délicate étant donné que les dépenses en matière de soins de santé – y compris en capital, en ressources humaines et en produits pharmaceutiques – représentaient une portion supérieure du PIB (de 7 % dans les années 1980 à 11 % actuellement). Par conséquent, ils ont commencé à se focaliser sur la réduction de la croissance des dépenses consacrées aux soins de santé.

ÉMERGENCE D’UN APPROVISIONNEMENT CENTRALISÉ

Au milieu des années 2000, des agences d’approvisionnement centralisé ont véritablement commencé à voir le jour, et se sont concentrées sur la création d’un processus d’approvisionnement plus cohérent et transparent. La réussite de ces entités était mesurée par leur capacité à réduire le prix moyen des produits médicaux.

Résultat? Mission accomplie! La transparence s’est améliorée. Le processus d’approvisionnement, s’il est devenu plus complexe, a gagné en cohérence. Par ailleurs, le prix de certains dispositifs, comme les endoprothèses et les stimulateurs cardiaques, a reculé. Toutefois, malgré les économies réalisées sur les dispositifs, le coût global des soins de santé a continué de grimper.

L’explication à ce problème peut être apportée par de simples notions de base en mathématique. En effet, étant donné que les dispositifs médicaux représentent uniquement 3 à 4 % des dépenses en soins de santé, même s’ils devenaient gratuits, le système ne pourrait économiser qu’au maximum 4 %. C’est pourquoi il est sans doute plus important de tenir compte de l’incidence des dispositifs sur le coût total des soins, sans oublier les 96 % restants. De plus, l’adoption facilitée d’innovations bien adaptées pourrait en réalité aider le système à soutenir un nombre accru de patients, et ce, sans augmenter les coûts globaux ou les besoins en ressources humaines, lesquelles sont déjà surchargées.

Dans les années 2010, les gouvernements ont commencé à prendre conscience du problème de l’innovation en matière de soins de santé et, en 2013, l’Ontario a été le premier gouvernement à former des conseils de l’innovation en santé. Deux années plus tard, le gouvernement ontarien a accepté toutes les recommandations du Conseil ontarien de l’innovation en santé (COIS), notamment le besoin de mettre au point des stratégies pour améliorer et coordonner l’approvisionnement, ainsi que l’adoption et la transmission de technologies innovantes au travers de l’ensemble du secteur de la santé.

APPROVISIONNEMENT BASÉ SUR LA VALEUR

En 2016, le Comité ontarien d’experts sur la chaîne d’approvisionnement en soins de santé a été formé et a également formulé, comme première recommandation, le besoin de former une agence unique d’approvisionnement en Ontario, laquelle serait dotée des compétences nécessaires pour se tourner vers une stratégie d’approvisionnement basé sur la valeur. Autrement dit, cette agence devrait donner de l’importance aux résultats cliniques en s’appuyant sur les commentaires des cliniciens, tenir compte de l’utilisation des ressources et du coût total des soins, et se concentrer sur la valeur et non juste sur le prix.

Cette même année, Gabriela Prada du Conference Board du Canada, figurant parmi les experts du comité HSSCS, a publié un ouvrage intitulé « Value-Based Procurement: The New Imperative for Canada ». Elle plaide en faveur d’une prise en compte des résultats cliniques et des coûts totaux associés au produit approvisionné, y compris son prix, son cycle de vie et les coûts de fonctionnement au moment de définir les critères dans le cadre d’une évaluation des soumissions. (À des fins de transparence totale, G. Prada occupe désormais le poste de directrice principale de la politique globale des systèmes de santé chez Medtronic.)

En Suède, par exemple, elle a souligné que l’approvisionnement de produits destinés aux soins des plaies comptabilisait les coûts totaux de prestation de soins de santé pour trois personnes différentes, et non pas juste le produit en lui-même. En Norvège, l’approvisionnement en cathéters intraveineux tenait compte des produits qui provoquaient le moins de douleurs pour les patients et étaient les moins susceptibles de se casser ou de nécessiter plusieurs tentatives de pose.

En 2017, au sein du Healthcare Supply Chain Network, Kara LeBlanc de Shared Services New Brunswick a présenté son travail intitulé « Implementation Considerations for VBP in the Health Sector for New Brunswick, Canada ». Bien que son ouvrage se concentre sur la province du Nouveau-Brunswick, les principales conclusions pourraient s’appliquer à l’échelle du Canada.

Ses recherches ont permis de déterminer les facteurs clés à la bonne mise en œuvre d’une stratégie d’approvisionnement basé sur la valeur, à savoir : « réforme de la législation en matière d’approvisionnement public, rôle des directeurs du pouvoir exécutif, intérêt et appui des intervenants, et directives destinées à mener des projets pilotes. En outre, la mise en place de structures robustes et un appui de la part du gouvernement plurisectoriel, accompagnés d'une représentation par des médecins, des ministères de la santé et du développement économique et financier, des organisations d’approvisionnement et de services partagés et des entités juridiques, jouent un rôle clé. Les directives et l’appui doivent provenir des hauts représentants ».

Je suis totalement en accord avec ses propos. La stratégie d’approvisionnement basé sur la valeur est essentielle pour atteindre les objectifs d’un programme d’innovation. D’ailleurs, en 2018, la Table de stratégies économiques sur la santé et les sciences biologiques en est arrivée à la même conclusion (parmi d’autres), et a recommandé la levée de fonds dédiés à l’approvisionnement innovant, lequel limiterait le risque lié à l’adoption de produits de santé canadiens novateurs ». Il en a découlé un investissement de 20 millions de dollars au profit du Réseau de santé CAN.

VERS UNE ÉVOLUTION FAVORABLE

Plus tard, en 2020 – sept ans après les recommandations du COIS, après la publication de plusieurs autres ouvrages au sujet de la stratégie d’approvisionnement basé  sur la valeur, et avec un nouveau gouvernement aux commandes – le gouvernement ontarien a créé une organisation de gestion de la chaîne d’approvisionnement intégrée dans le domaine de la santé, dénommée ApprovisiOntario. Parmi ses objectifs, l’organisme « favorisera l’innovation et les nouvelles technologies » et « assurera une utilisation optimale de l’argent des contribuables ».

À ce jour, il n’a jamais été aussi important de s’appuyer sur l’approvisionnement en vue de sécuriser l’offre de produits de qualité destinés à améliorer les résultats cliniques pour les patients et à assurer la sécurité des prestataires de soins de santé, étant donné les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement mis en lumière pendant la pandémie à l’échelle internationale.

Tout particulièrement, la crise a souligné l’importance de la production locale en même temps que le besoin de collaborer avec des fournisseurs internationaux. Au niveau fédéral, c’est désormais au nouveau ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, de relever ce défi.

Lorsque nous serons parvenus à stopper la pandémie, et que notre système de soins de santé devra gérer les nombreuses interventions retardées pendant le confinement, j’espère que l’approvisionnement, tant à l’échelle provinciale que fédérale, se fera en toute fluidité, dans le respect de la réforme, avec des produits qui réduisent les temps d’intervention ainsi que les risques de réadmission, voire éliminent directement les causes d’admission.

Neil Fraser est Président de Medtronic Canada. Il a été membre du Conseil ontarien de l’innovation en santé ainsi que du Groupe consultatif sur l’innovation des soins de santé. Nous remercions Melicent Lavers-Sailly, directrice, Communications, stratégie et engagement des intervenants, pour son soutien éditorial.

Reproduit avec l'autorisation de Hospital News.